Un monde coloré. Analyse chromatique d’une réalisation de Louis Tenaerts

Insérée entre une rue commerçante et une zone résidentielle, avec sa façade noire et blanche et ses lignes géométriques, cette habitation est l’une des constructions emblématiques de Louis Tenaerts. Construite en 1933 pour Valentin Marit, dessinateur de son état, située rue de la Seconde Reine 5 à Uccle, elle était jusqu’il y a peu uniformément habillée de blanc.

C’est une maison assez particulière dans l’œuvre de Tenaerts, construite en style Paquebot mâtiné d’Art Déco et de modernisme. La façade, pleine de caractère avec ses éléments en saillie et ses arrondis, cache un plan ouvert qui réduit l’espace dévolu aux circulations afin d’accorder un maximum de surface aux pièces de vie. L’architecte a ici repensé le plan traditionnel à deux ou trois pièces en enfilade pour créer, sur une surface réduite, une habitation moderne.

Passionné par la maison, son propriétaire actuel découvre, au gré de ses recherches, quelques photos de celle-ci dans le fonds d’archives du photographe Willy Kessels. Elles sont en noir et blanc mais on y distingue une palette de tons allant du clair au foncé, qui font penser à un univers coloré très éloigné du blanc.

L’étude stratigraphique

Derrière ce mot se cache un procédé mécanique qui demande une expérience et un doigté certains et qui doit donc être réalisé avec soin. Il consiste à décaper par strates la peinture d’un élément pour distinguer les différentes couches et en déterminer la chronologie. Le but de ces sondages est de décrire l’évolution coloristique des finitions et d’avoir ainsi une vision de l’aspect de la maison à différentes périodes. Chaque changement d’aspect est appelé intervention. On parle donc de première intervention, deuxième intervention et ainsi de suite.

À l’intérieur, aujourd’hui, les murs et les plafonds sont uniformément blancs. Seul le sol en carrelage d’époque apporte des touches de couleur – noir, gris, ocre et lie de vin, une gamme typique des années 1930. Les sondages, effectués au niveau du hall d’entrée, de la pièce de vie et de la cage d’escalier, révèlent une douzaine de couches réparties en huit ou neuf interventions.

Après quelques jours d’étude, les résultats éclatent au grand jour… Les portes étaient traitées à l’origine en deux tonalités distinctes : du bleu et un chambranle noir pour la porte d’entrée et du gris-vert amande pour les portes donnant sur le salon, avec le même noir sur les chambranles. Cette harmonie des couleurs des boiseries est restée presque inchangée pendant les quatre premières interventions pour ensuite laisser place au blanc. Les murs du hall étaient recouverts d’un enduit structuré de couleur bronze-doré, qu’ils ont perdu dès la deuxième intervention au profit d’un gris-vert amande identique à celui des portes.

Les portes de la pièce de vie ont suivi de près l’évolution des couleurs de leurs sœurs du hall d’entrée, seul un ocre jaune, reflet d’une nouvelle époque, a remplacé le vert lors de la troisième intervention. À partir de la cinquième, ces tonalités vives ont été remplacées par des tons pâles qui évoluèrent ensuite vers le blanc. Les murs, abondamment réenduits, ne révèlent aujourd’hui que peu d’indices.

Rue de la Seconde Reine 5, Uccle, sondages sur la porte du hall d'entrée (© M. Minneci, 2020)

Les recherches ont permis de mettre au jour trois ou quatre interventions au niveau de la cage d’escalier. Les murs recouverts de crépi étaient peints en ocre jaune mat lors de la première intervention, qui laissa la place à un vert pâle posé sur un enduit de lissage. La troisième intervention a couvert les murs d’un jaune soutenu, suivi d’un vert d’eau, qui laissa finalement la place au blanc.

Imaginons-nous en 1935 : le hall d’entrée nous accueille, des murs bronze-doré, une porte bleue, l’autre gris-vert, le ton est donné ! Le salon, aux couleurs moins vives mais tout aussi variées, nous projette dans un univers fait de gris-vert, de jaune, de lie de vin et de noir brillant. Nous sommes vraiment très loin du « tout blanc ».

Aujourd’hui, on peut se demander pourquoi le blanc est devenu le choix par défaut de nos intérieurs. Les raisons sont multiples. Il y a clairement un effet de mode, c’est une couleur facile à marier qui met magnifiquement en valeur les lignes tendues des immeubles et des maisons construits dans les années 1930. Mais il y a aussi un autre facteur, auquel on pense moins : les photos d’époque, prises en noir et blanc, donnent à nos yeux habitués à la couleur l’impression que l’entre-deux-guerres privilégiait les tons sobres.

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